Pourquoi 7,5 % de la population vit-elle avec un trouble aussi méconnu que le trouble développemental du langage ? Cette question m’a habité depuis que j’ai rejoint le Regroupement TDL Québec en tant que directrice générale.
Lorsque j’ai été approchée en 2022 pour diriger le Regroupement TDL Québec, mon premier contact avec cette organisation s’est fait sous son ancien nom : Regroupement Langage Québec. Ma première pensée fut de croire, avec une pointe d’ironie rétrospective, qu’il s’agissait d’un organisme militant pour la langue française.
Cette anecdote m’a fait réaliser à quel point le nom d’un organisme ou d’un trouble peut influencer la manière dont il est perçu. Très rapidement, il est devenu clair pour moi qu’un changement de nom s’imposait. Ainsi est né le Regroupement TDL Québec, un nom qui reflète directement ce que nous défendons.
Je n’aurais jamais imaginé à quel point cette aventure allait transformer ma vision, ma compréhension, et surtout, mon engagement envers le trouble développemental du langage (TDL). Mais avant de vous partager les leçons apprises et les défis relevés, il est important de revenir à la source, à ces premières semaines et mois où je me suis retrouvée face à un univers encore inconnu.
Défricher un terrain complexe
Dès mes premiers jours en poste, j’ai entrepris une véritable mission de découverte pour comprendre le TDL. Mais soyons honnêtes : je n’avais pas anticipé la complexité qui m’attendait. Pour moi, à ce moment-là, le terme « trouble du langage » semblait suffisant pour désigner toutes les difficultés liées à la communication. J’ai rapidement appris que cette simplification était trompeuse. D’ailleurs, malheureusement trop peu souvent plusieurs personnes et professionnels utilisent encore le terme « trouble du langage » lorsqu’il parle du TDL ! Et pourtant… il s’agit de deux définitions différentes.
Le TDL est un trouble neurodéveloppemental qui affecte, entre autres, les compétences langagières d’une personne. Cependant, il ne se limite pas au langage lui-même : il touche d’autres fonctions cognitives qui influencent directement les impacts fonctionnels dans la vie quotidienne. C’est ce lien entre le langage, les autres fonctions cognitives et leurs répercussions fonctionnelles que j’ai mis du temps à cerner. Les explications que l’on me donnait n’étaient pas logique… je t’entais de trouver un lien et je n’y arrivais pas !
Le TDL, une invisibilité troublante
Ce qui m’a frappée dès le départ, c’est l’invisibilité du TDL, malgré sa prévalence. Environ 7,5 % de la population est touchée par ce trouble, soit plus de 650 000 personnes au Québec. Pourtant, il est bien moins reconnu que des troubles comme le TSA (1 % de la population) ou le TDA H (environ 5 %).
Je tiens à être claire : je ne cherche pas à diminuer l’importance ou la visibilité des autres troubles neurodéveloppementaux. Mais il y a une réalité qu’on ne peut ignorer : le TDL est prédominant, et pourtant si peu connu.
Je me suis souvent demandé pourquoi. Pourquoi le TDL, qui touche un si grand nombre de personnes, reste-t-il aussi méconnu ? Parmi les raisons, un facteur évident est que le TDL a changé de nom à quatre reprises depuis sa découverte en 1958. Chaque nouveau terme a créé une confusion supplémentaire, rendant difficile l’établissement d’une identité claire pour ce trouble.
En marketing, on sait qu’un « branding » incohérent peut nuire à la reconnaissance. Et c’est exactement ce qui s’est passé avec le TDL. Les changements de terminologie ont fragmenté les connaissances et retardé la sensibilisation.
Une autre raison réside dans la perception erronée que le TDL, étant que ce trouble, n’est pas « handicapant ». Comme ses impacts ne sont pas visibles de manière évidente, il est facile pour le grand public – et parfois même pour les professionnels – de sous-estimer son importance.
Une approche sectorielle qui fragmente la compréhension
En réfléchissant à cette invisibilité, j’en suis venue à identifier un autre facteur clé : le manque de l’approche multidisciplinaire et cela pour le diagnostic et pour la conception d’un plan d’intervention. Ce que j’ai observé, c’est que chaque profession tend à aborder le TDL selon sa spécialité. Par exemple…
- Les orthophonistes, se concentrent majoritairement sur les troubles du langage, en se limitant parfois à la communication et aux défis langagiers en lien avec les impacts fonctionnels.
- Les neuropsychologues, quant à eux, explorent plutôt les fonctions cognitives globales, en mettant moins l’accent sur les particularités du langage.
Ces approches sectorielles, bien qu’importantes, ne permettent pas toujours de comprendre le TDL dans sa globalité. Chaque expert parle de son domaine, sans nécessairement relier les points entre eux. C’est cette fragmentation des perspectives qui, en partie, explique pourquoi le TDL est si difficile à percevoir dans toute sa complexité. Bien souvent le parent est en contact avec l’un ou l’autre mais très rarement avec les deux, d’où l’importance de préconiser, selon moi, une approche multidisciplinaire.
Ce que j’ai découvert, c’est qu’il faut une vue d’ensemble pour vraiment comprendre le TDL. Et c’est précisément au sein des associations que j’ai trouvé cette vision globale. Les associations adoptent une vue hélicoptère, en tenant compte non seulement des aspects langagiers et cognitifs, mais aussi des impacts fonctionnels concrets dans la vie quotidienne. Elles sont les seules, selon moi, à aborder le TDL dans sa globalité, en travaillant avec les familles, les intervenants et les professionnels pour relever tous les défis auxquels une personne vivant avec un TDL doit faire face.
Savoir ce qu’on représente pour mieux agir
En tant qu’entrepreneure ayant travaillé pendant des années en développement des affaires, je me suis souvent posé cette question fondamentale : « Que vend-on au juste? » Appliquer ce principe au TDL m’a semblé évident.
Dans ce contexte, « vendre » ne signifie pas commercialiser un produit, mais expliquer clairement ce qu’est le TDL pour que les personnes concernées puissent accéder aux services et au soutien dont elles ont besoin.
Si nous-mêmes, en tant que professionnels ou représentants, ne comprenons pas pleinement le TDL dans sa globalité, comment pouvons-nous convaincre les décideurs, les intervenants et les familles de l’importance d’y accorder de l’attention ? Cette question a guidé ma démarche : je devais maîtriser ce que je représentais pour pouvoir en parler avec conviction. Et pour être convaincante, je devais d’abord être convaincue !
Relier les fonctions cognitives pour comprendre
Dans ma quête, j’ai parfois été trop près de l’arbre pour voir la forêt. Je cherchais des liens logiques, mais je n’arrivais pas à les tisser. Ce que je ne voyais pas à ce moment-là, c’est que je passais à côté de l’élément central : le cerveau lui-même. C’est là que tout s’orchestre, là que se cache la clé de compréhension du TDL. Cette réalisation a été un tournant pour moi, un point de départ qui m’a permis de mieux comprendre et, surtout, de mieux expliquer.
Ce qui a confirmé le tout pour moi a été une conférence à laquelle j’ai participé en octobre 2024, présentée par le docteur Dave Ellemberg, neuropsychologue. Il est venu confirmer ce que je suspectais depuis un petit bout de temps. Cependant, évidemment, lorsque ce sont les professionnels qui le disent, on a plus tendance à les croire qu’à écouter notre petit instinct à nous…!
En tant que trouble neurodéveloppemental, le TDL implique des impacts sur le cerveau qui affectent diverses fonctions cognitives. Ces fonctions, bien qu’étroitement liées au langage, vont au-delà de la communication. Ce sont elles qui influencent les impacts fonctionnels observés chez les personnes vivant avec un TDL.
Ce que j’ai compris au fil de mon exploration, c’est que les manifestations du TDL diffèrent d’une personne à l’autre parce que les fonctions cognitives affectées varient également. Cela inclut, par exemple, la mémoire de travail, la coordination ou d’autres aspects de la cognition, qui peuvent altérer la façon dont une personne fonctionne dans son quotidien.
C’est lorsque j’ai relié le langage à ces autres fonctions cognitives que tout s’est éclairé pour moi. Je pouvais enfin voir comment une difficulté langagière était liée à des répercussions plus larges, comme un défi en motricité fine ou une hypersensibilité sensorielle, en raison des interconnexions dans le cerveau.
Faire la lumière sur l’invisible
Cette révélation a changé ma façon d’expliquer le TDL. J’ai souvent décrit le langage comme un point rouge dans un océan rose. C’est ce qui attire l’attention, mais ce n’est qu’un élément parmi d’autres dans la globalité du TDL. Derrière ce point rouge, il y a tout un univers de fonctions cognitives impactées, que nous devons apprendre à reconnaître et expliquer.
En visualisant le cerveau comme un tout et en comprenant que le TDL affecte à la fois le langage et d’autres fonctions cognitives, j’ai enfin trouvé comment je peux rendre visible l’invisible ! Et surtout…plus logique à expliquer à tous ceux à qui je dois présenter ce trouble. Depuis le mois de novembre 2024, j’ai pris le temps d’appliquer cette nouvelle image du TDL et j’ai à ma grande joie pu déceler dans le visage des gens (parents, professionnels et employeurs) qu’ils comprenaient clairement ce que je tentais de leur expliquer ! Enfin les gens hochent de la tête et en retour pose des questions qui m’indique que l’explication que je leur ai donnée a su créer une image dans leur tête et que maintenant le TDL est visible pour eux.
Un appel à penser autrement : Et si nous allions au-delà du langage ?
Je suis consciente que ma logique ne fera pas l’unanimité dans la communauté du TDL, cependant je me dois de faire autrement, car le TDL doit être reconnu pour ce qu’il est dans sa globalité. Le langage est un point central, mais il n’est qu’un élément parmi d’autres. En reconnaissant le TDL dans sa totalité, en tant que trouble neurodéveloppemental, nous pouvons mieux comprendre, mieux expliquer, et surtout, mieux accompagner les personnes qui en vivent les impacts. En résumé, adresser le langage comme une fonction cognitive et les impacts plus larges du TDL est crucial pour une meilleure sensibilisation, compréhension et prise en charge. Il s’agit d’un enjeu majeur pour rendre visible l’invisible !
Ce blogue marque le début d’une nouvelle étape pour moi. Maintenant que j’ai cette compréhension logique du TDL, je suis prête à continuer à collaborer avec tous les intervenants, à poursuivre ma quête d’apprendre et à partager ces connaissances.
J’ai bien l’intention de vous partager mes aventures et mon intense questionnement en lien avec tout ce qui touche à la réalité du TDL. En attendant, je vous pose cette question : Comment pouvez-vous contribuer à rendre le TDL visible en considérant les points que j’ai soulevés ?