Il est souvent dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant. Moi, je dis qu’il faut une équipe multidisciplinaire pour diagnostiquer un trouble développemental du langage (TDL) dans sa globalité.
Plus j’avance dans mon parcours et plus je suis convaincue que le TDL a un impact bien au-delà du langage ! Je l’ai déjà exprimé, mais cette prise de conscience s’intensifie au fil des discussions avec les parents et les intervenants sur le terrain. Si on ne considère pas le TDL dans son ensemble, les difficultés non adressées s’accumulent et deviennent des obstacles majeurs à mesure que la personne avance en âge.
Le langage : le clignotant rouge dans l’océan rose
Je dis souvent que le langage est le clignotant rouge dans l’océan rose. Oui, j’ai bien dit rose… Tout le monde sait que l’océan est censé être bleu, alors pourquoi rose ?
Le langage est souvent la porte d’entrée du diagnostic de TDL, autrement-dit le « clignotant rouge ! ». Mais il ne faut pas oublier tout ce qui gravite autour. Je parle ici du TDL dans sa globalité avec les autres difficultés liées à celui-ci qui forme « l’océan rose » : la motricité fine, la concentration, la coordination, les particularités sensorielles, les habiletés sociales et plus… La liste peut malheureusement être longue et varie d’une personne à l’autre. Et c’est là qu’entre en ligne de compte l’approche de l’équipe multidisciplinaire !
Pourquoi une équipe multidisciplinaire ?
D’abord, pour comprendre l’ensemble des difficultés qu’une personne présentant un TDL doit affronter. Ensuite, pour répondre à une réalité bien présente au Québec : les listes d’attente interminables pour obtenir un diagnostic par l’entremise d’un orthophoniste, un plan d’intervention ou simplement un accompagnement.
Depuis que je suis à la direction du Regroupement, je me pose sans cesse la question : comment pouvons-nous faire une réelle différence et aider les familles avec cette réalité ?
Agir tôt : une initiative imparfaite, mais essentielle !
Évidemment, lorsqu’on parle de la petite enfance, la première ligne d’intervention est Agir tôt (l’ABCdaire 18 mois) un programme qui est accessible et disponible dans toutes les régions du Québec. Oui, ce n’est pas parfait. Non, l’approche pour intervenir auprès des différentes difficultés n’est pas uniforme d’une région à l’autre. C’est un autre sujet en soi.
Cependant, j’y crois beaucoup ! Je crois au potentiel d’Agir tôt, surtout s’il y a une ouverture à collaborer avec les ressources existantes sur le terrain : les intervenants de la petite enfance comme j’aime bien le dire… « tous les intervenants qui gardent et éduquent et cela peu importe le milieu ! », les associations régionales et différents organismes qui accompagnent déjà les familles. Nous en reparlerons une autre fois.
Mais la réalité est celle-ci : comme le rappelle l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec, un TDL ne peut être diagnostiqué à 18 mois (aucune recherche scientifique pour appuyer le contraire). En général, c’est plutôt vers trois ans et demi, quatre ans que le diagnostic est posé. L’OOAQ a d’ailleurs émis en avril 2022 des recommandations relatives à la visite de surveillance à 18 mois qu’elle a partagé avec les responsables du programme Agir tôt. Cependant, une récente étude mis de l’avant par l’Université de Montréal permet de désigner plus précocement les facteurs prédictifs d’un TDL parmi les enfants qui ont été vus en pédopsychiatrie.
Autrement dit, avant cet âge, même si des signes sont présents, on ne peut pas encore officiellement parler de TDL. Mais cela ne signifie pas qu’il faut baisser les bras !
Vous êtes un parent ou un professionnel en présence d’un enfant qui présente clairement des difficultés langagières et d’autres défis cognitifs ?
Écoutez votre instinct !
Oui, en tant que parent, il est normal d’avoir peur d’être trop protecteur ou d’exagérer. Mais on m’a dit quelque chose il y a bien longtemps, en tant que mère et en tant que mamy : cette petite voix intérieure est là pour une raison. Il vaut mieux consulter et s’entendre dire qu’il n’y a rien, plutôt que d’attendre et d’en subir les conséquences plus tard.
Donc oui, vous êtes peut-être sur une liste d’attente pour Agir tôt. Mais cela ne doit pas vous empêcher d’agir dès maintenant.
Lorsque vient le temps d’établir un diagnostic de TDL, l’évaluation est faite par un orthophoniste et/ou un neuropsychologue. Ces deux professionnels ont un rôle complémentaire et essentiel pour mieux comprendre le profil de l’enfant.
- L’orthophoniste évalue les habiletés langagières, les difficultés d’expression et de compréhension, et détermine si les défis observés correspondent aux critères d’un TDL.
- Le neuropsychologue, quant à lui, ne se limite pas au langage. Il analyse l’ensemble du fonctionnement cognitif, afin de mieux comprendre les forces et les défis qui peuvent interagir avec les difficultés langagières.
D’ailleurs, bien souvent, le TDL passe inaperçu et n’est diagnostiqué que plus tard dans la vie. De plus en plus, nous recevons des parents qui nous contactent parce que leur adolescent vient tout juste d’obtenir un diagnostic, ou encore parce qu’ils suspectent que leur enfant présente un TDL sans que cela ait été confirmé auparavant.
Ce phénomène s’observe aussi chez les adultes. Grâce aux efforts de sensibilisation et aux campagnes d’information menées sur le terrain, plusieurs adultes commencent à se reconnaître dans les caractéristiques du TDL et se demandent s’ils ont vécu toute leur vie avec ce trouble sans jamais avoir été diagnostiqués.
Dans ces cas, le neuropsychologue est un acteur clé pour ces groupes d’âge car malheureusement très peu d’orthophoniste évaluent des adultes, le neuropsychologue peut évaluer et diagnostiquer les trois groupes d’âge.
Cependant… les évaluations ne sont pas prises en charge par le réseau de la santé et des services sociaux, ce qui représente un frein pour plusieurs familles et individus.
Même si ces démarches sont coûteuses, elles permettent d’avoir une meilleure compréhension de soi, d’identifier les besoins spécifiques et de mettre en place les ajustements nécessaires pour faciliter plusieurs aspects de la vie quotidienne que ce soit dans le cadre scolaire, professionnel ou personnel.
Une équipe multidisciplinaire : un incontournable
L’évaluation orthophonique ou neurologique est particulièrement précieuse, mais elle ne doit pas être envisagée seule. Idéalement, une équipe multidisciplinaire complète devrait être impliquée, car chaque professionnel apporte une perspective unique et complémentaire à l’évaluation et à l’intervention.
Une équipe multidisciplinaire devrait inclure au minimum :
- Un neuropsychologue, qui évalue les fonctions cognitives globales et différencie les causes possibles des difficultés observées.
- Un orthophoniste, qui analyse le langage sous toutes ses formes (compréhension, expression, communication).
- Un psychologue, qui intervient en lien avec les défis comportementaux, émotionnels et l’impact du TDL sur la santé mentale.
- Un ergothérapeute, qui travaille sur la motricité fine, la coordination, les habiletés graphomotrices et les défis sensoriels.
Que ce soit pour un enfant, un adolescent ou un adulte, une approche globale et concertée est la clé pour éviter que certains défis restent non adressés et se transforment en obstacles majeurs plus tard.
C’est pourquoi il est essentiel de ne pas attendre et d’aller chercher l’expertise de plusieurs professionnels dès que des signes de difficultés apparaissent.
L’impact d’une équipe multidisciplinaire
J’ai eu le privilège de bénéficier de la confiance d’une mère qui m’a partagé le dossier complet de son enfant. Elle voulait me démontrer que ma vision d’une évaluation multidisciplinaire n’était pas si farfelue, bien au contraire !
En 2011, son enfant a été évalué par une équipe multidisciplinaire située dans la Capitale Nationale, plusieurs jours pour analyser chaque aspect de son développement. Ils ont tout observé : son langage, son comportement, sa motricité, ses réactions sensorielles…
Et oui, le langage était bien le signal d’alerte, mais d’autres défis étaient présents : troubles du comportement, défis de motricités, difficultés à se concentrer et autres.
L’avantage d’un diagnostic global ? Pendant que l’enfant attendait son suivi en orthophonie, d’autres interventions ont pu être mises en place. Il a été pris en charge pour ses difficultés motrices, pour sa gestion des émotions, pour son hyperactivité. Rien n’a été mis de côté sous prétexte qu’il était sur une liste d’attente.
Aujourd’hui, ce jeune est devenu un adolescent outillé pour contourner certaines de ses difficultés et reconnaître les impacts que peut avoir le TDL sur sa réalité quotidienne. Tout cela parce qu’il a pu bénéficier d’un accompagnement complet dès le départ. Cela ne veut pas dire que tout roule sur des roulettes ! Même avec un diagnostic multidisciplinaire, sa mère a dû se battre et continue à faire le nécessaire pour que son adolescent puisse bénéficier de ce à quoi il a droit afin de s’épanouir et de réaliser ses objectifs.
Pourquoi c’est essentiel ?
Parce que le TDL est encore méconnu et que, bien souvent, on le confond avec d’autres troubles neurodéveloppementaux. Ce qui fonctionne pour un enfant présentant un TSA ne s’applique pas nécessairement à un enfant vivant avec un TDL.
Une approche multidisciplinaire permettrait d’adresser chaque besoin et d’éviter que des enfants se retrouvent démunis à l’adolescence ou à l’âge adulte, faute d’avoir reçu le bon accompagnement dès le départ.
Un appel aux parents, aux professionnels et au ministre Lionel Carmant
Parents : Si vous consultez Agir tôt pour des défis langagiers, sachez que le diagnostic de TDL ne sera pas posé immédiatement. Mais cela ne signifie pas qu’il faut attendre sans rien faire. Soyez attentifs à tous les aspects du développement de votre enfant, pas seulement à son langage.
Professionnels : Je comprends votre réalité, surtout lorsque vous êtes liés à un ordre professionnel, qui vous demande de vous en tenir à votre champ d’expertise. Cependant, la réalité est que le TDL nécessite l’intervention de plusieurs expertises du domaine de la santé.
C’est pourquoi je vous demande ceci : informez les parents qu’il existe des organismes qui œuvrent sur le terrain et qui peuvent les aider. Mentionnez-leur également les autres disciplines qui pourraient intervenir auprès de leur enfant. Plus nous serons nombreux à les diriger vers des solutions adaptées, mieux sera le quotidien de chaque enfant, adolescent et adulte vivant avec un TDL ou en attente d’un diagnostic.
Monsieur le ministre Carmant : Le TDL est un enjeu de santé publique. Pourquoi ne pas adapter Agir tôt selon les recommandations de l’OOAQ et impliquer les acteurs du terrain pour accompagner les familles jusqu’au diagnostic et/ou lorsque celui-ci est émis ?
Et si nous changions enfin notre façon d’aborder le TDL ?
En conclusion sur un sujet que j’aurais pu élaborer sur plusieurs pages… Le TDL ne se résume pas à des fonctions langagières. Il touche plusieurs aspects du développement et nécessite une prise en charge globale. Agissons ensemble pour mieux accompagner les enfants, adolescents et adultes vivant avec un TDL.
Et vous, comment imaginez-vous l’équipe idéale pour accompagner une personne vivant avec un TDL ? Partagez vos idées en commentaire !